Conçu pour durer : J’ai fait une sélection de plusieurs maxis, morceaux, cassettes, pour revenir sur votre parcours. J’ai essayé de faire ça chronologiquement.

Akhenaton : Ok. Tu commences par le plus difficile, c’est à dire le plus loin.

Conçu pour durer : Ouais, assez loin d’ailleurs…

IAM : Oooooohhhhhhh (générale)

 

CHOICE MC – « This is a B Side »

Khéops : Ça c’est un souvenir à tous les deux (ndlr Akhenaton). Tu l’as en très bon état.

Imhnotep : Royal House.

Akhenaton : C’est pas Royal House, c’est Choice MC’s ça!

Imhnotep : Pourquoi Royal House, parce que de loin…

Akhenaton : Chuttttt… tu faisais du reggae à l’époque (rires)

Imhnotep : Moi j ai le Royal House exactement pareil.

Khéops : C’est normal, c’est nous qui avons créé la pochette.

Akhenaton : Un jour à Perigueux, un mec vient avec un vinyl, et me fait signer un test press de ce disque là. J’ai halluciné, je voulais lui voler, partir en courant (sourire).
Et ça, c’est un disque, je te jure, que j’ai enregistré en pyjama. On était en studio à l’époque avec Chubb Rock, Choice MC’s, Todd Terry… il y avait carrément des poids lourds du rap à l’époque. J’étais en pyjama car le studio était au sous-sol de la maison. Et il y a Tony qui me dit « Ce matin on a enregistré un groupe de jeunes produit par Chubb Rock, des mecs de Brooklyn, pourquoi tu viens pas assister à l’enregistrement? ». J’étais avec Eric (Dj Khéops ndlr), et il y a un des deux mc’s qui galérait sur son couplet, il arrivait pas à le poser. Tony se tourne vers moi et dit « Montre leur comment tu fais en Français! ». Je me suis levé, je suis parti, j’avais des pantoufles au pied, et un pyjama.

Khéops : Sans déconner !

Akhenaton : J’ai fait le couplet d’une maquette qu’on venait de faire à Marseille, et tout le monde faisait « aaaahhhhhhh ». Et ils l’ont gardé.

Khéops : Et le même jour où on a fait ce disque là, on avait déliré car on avait fait le macaron, qui entre temps a changé suite à la sortie chez Warlocks; on avait enregistré un morceau qui s’appelait « I’am Journalist ». Lui (Akhenaton ndlr) avait posé, on avait fait les musiques, moi j’avais fait les scratchs, mais on a pas pu le sortir. Et un jour on a eu l’album de MC Sergio sur le label Idlers, et on a entendu le morceau « I’am Journalist ».

Akhenaton : La prod qu’on avait faite…

Khéops : Tout, les scratchs. Le mec qui rappait avait gardé le même titre. Le scratch c’était Rakim « Follow the leader ».

Akhenaton : Mais dans ce studio on a appris beaucoup, énormément de choses, on a appris à faire du son. Pour te dire, on était assis, sans rien toucher et quand ils partaient on faisait des sons juste grâce à notre capacité d’observation. On avait vraiment faim. Tu te rappelles quand il est parti à Philadelphie?

Khéops : On allumait le studio…

Akhenaton : Je faisais des sons. On allumait toutes les machines…

Khéops : Je faisais des scratchs.

Akhenaton : On faisait tout marcher. Tony est revenu, il hallucinait. Il nous disait « Vous avez fait des sons? Mais comment vous savez faire marcher ça? » (rires). Quand les Jungle Brothers ont enregistré leur album, on était là. Et hop, avec nos yeux on apprenait !

Khéops : Moi je voyais les mecs scratcher, je captais tout ce qu’ils étaient en train de faire. Pour nous, c’était comme voir des mecs marcher sur la Lune.

Akhenaton : C’était ou ça, ou des entraînements au tirs sur des tables de ping pong avec des 45 automatiques (rires).

Khéops : En général, on était en haut.

Conçu pour durer : Et par la suite, vous avez gardé contact?

Akhenaton : Oui, surtout avec Tony je l’ai vu il y a quelques années.

Khéops : on y est retourné deux fois la première année.

Akhenaton : Plus ! J’y suis allé en 86, tu étais pas là.

Khéops : On y est allé ensemble la première fois en 87, il y avait Richard. Ensuite en 88, il y avait Miguel, et on y est retourné avec Eric la même année.

 

 

 

 

IAM – K7 CONCEPT

Akhenaton : C’est le vrai saut d’IAM. C’est le moment où Imhotep rejoint le groupe…

Shurik’n : Et on commence à avoir nos propres créations.

Khéops : Ouais, on sait comment marche un studio.

Imhotep : C’est le moment où ils squattent ma maison, ma cuisine, et mon frigo (rires).

Akhenaton : « Remboursez moi les disquettes !!!  » (rires).

Imhotep : J’ai eu des factures d’Heineken de plusieurs milliers de francs (sourire).

Khéops : Pour nous, c’était faire un album mais dans des conditions studios, car on avait vu des mecs avec plein de pistes, mais nous on en avait quatre ! Donc il fallait se débrouiller

Shurik’n : Ah, il fallait composer avec !

Khéops : On a fait un truc de fou. Quand j’y pense, je me demande ce qu’on a fait car quand tu l’écoutes, tu te dis c’est fait sur quatre pistes, on dirait… On était des fous furieux !

Shurik’n : Il fallait jongler.

Khéops : Il y avait une grosse caisse, une piste kick…

Shurik’n : Non non…

Imhotep : La rythmique était sur deux pistes, même des fois sur une piste.

Khéops : Après il y avait les scratchs, et une piste pour les voies. Je sais même pas comment on faisait les backs. On les faisait sur les pistes de l’autre…

Akhenaton : C’est vraiment un des premiers albums auto-produit du Hip Hop. Parce qu’à cette époque là, le Hip Hop était faiblement produit, et ça passait pas des canaux de grosses maisons de disques. Parce que même Warlocks, c’est des cascades de labels, et il y a toujours une grosse major derrière. C’est très rare les labels très indépendants, je parle de la France, à New York il y en avait quelques uns…

Khéops : C’est pas pareil que nous, mais les mecs à New York avaient démarré sur leurs labels, il y avait beaucoup de gros tubes à l’époque qui existaient sur des petits labels indépendants. Et après, ils signaient chez la major et tu vois toujours le petit logo de l’indépendant. Et parfois la version change aussi, mais souvent c’était comme ça.

Akhenaton : Pour nous «Concept» c’était vraiment un album auto-produit à l’époque où ça ne se faisait pas trop. Et si on doit garder des souvenirs et raconter des anecdotes de «Concept», c’est la pièce à chauffe-eau, la cuisine, et le salon de tonton.

Shurik’n : Ah oui ! J’ai fait les voix ou ?

Akhenaton : Dans la pièce à chauffe-eau  !

Shurik’n : J’ai fait les voix, j’avais le chauffe-eau devant la gueule  !

Imhotep : Le cumulus style !

Khéops : Le déclic de “Concept”, c’est les disques des pyramides.

Akhenaton : Ouais.

Khéops : On en mettait de partout de toute façon.

Shurik’n : C’est vrai que le jour où on a mis la main sur ce disque.

Khéops : Le jour où j’ai volé ce disque…

Akhenaton : On était dans une radio, on avait une émission depuis 1984, une émission de Hip Hop qui était diffusée d’Avignon jusqu’à Toulon, donc on était assez écouté. C’était une radio communiste. Et grâce à cette radio on a fait une première connexion à New York, parce qu’on avait des invités. On avait eu Bambaataa, T La Rock, André Arrel… et en fait, on défenestrait tous les disques pourris de la radio, les Mireille Mathieu, les Johnny Hallyday… et l’autre jour pour en parler au “Grand journal”, j’ai chanté une chanson à la con de Johnny Hallyday pour la victoire de l’équipe de France, et il y avait le directeur de la radio qui m’a envoyé un message par mail : “ahahahah, tu chantes du Johnny Hallyday, je tiens enfin ma revanche !”. Il sait qu’on balançait tous les disques de Johnny Hallyday par la fenêtre. (rires)

Khéops : J’avais des breaks. Quand un disque passait en nouveauté, à l’époque on avait pas de MK2, donc on pouvait pas scratcher, mais on avait des Barthe à démarrage rapide. Tu montais le fader, et la platine démarrait instantanément. Tu fais un quart de tour, il fallait décaler, et dès que tu montais tu avais le son. Et je me rappelle, j’avais le disque de X-Or, et je me rappelle, le disque tournait, eux ils étaient aux micros, et en plein couplet, je baissais et boum je scratchais… (rires).

Akhenaton : Allez on enchaîne (rires), car si on commence à raconter cette époque là…

 

 

 

 

MIXTAPE CUT KILLER

Akhenaton : Il y en a une qui est vraiment une annonce… En fait, on est très lié à Cut depuis les premières heures, car on s’est lié d’amitié avec tout le crew d’IZB. Cut Killer faisait partie du crew d’IZB à la base, et sans rentrer dans les détails familiaux, mon épouse était voisine de Cut. Donc quand je montais à Paris, parfois je dormais chez lui et j’étais là quand il a fait ses premières mixtapes. Et à un moment, il m’a dit “Vous voulez pas faire une spéciale IAM”. On avait fait une pré mixtape ou il y avait juste un ou deux extraits dessus, une sélection, une ambiance et tout. Après on avait fait une mixtape ou il y avait des morceaux comme “Il pleut autour du monde”…

Conçu pour durer : “Le combat sans fin”.

Akhenaton : “Le combat sans fin” qu’on avait joué avec The Roots à Taratata. Pour moi, et encore aujourd’hui, beaucoup de mixtapes sont des albums à part entière; ça reste une manière détournée de vendre des albums, mais ça reste l’âme du Hip Hop. Ça reste l’âme du Hip Hop US surtout, parce que la mixtape française a peu d’avenir. Aux Etats-Unis il y a beaucoup de possibilités : tu peux sampler, etc, sans être poursuivi, si tu en vends pas des millions, ici…

Shurik’n : Tu te fais tuer !

Conçu pour durer : Du coup la collaboration avec Cut s’est prolongée sur ton premier album solo.

Akhenaton : Ouais, en 1995. Alors après, malgré tout le respect que je dois à Cut, qui est un très bon ami, je pense que globalement sur cet album je m’étais dit; “je vais faire quelque chose de différent d’IAM”. Ce serait maintenant, je ferais un “Météque et mat” avec le groupe, même que Cut soit invité, mais il y aurait Khéops, Shurik’n , Tonton… On voit plus les aventures solo de la même manière.

Khéops : C’est nos premiers pas. C’est le premier album solo du groupe.

Akhenaton : On vivait entasser à l’époque. C’est peut être ça l’envie de break. On sortait de la tournée “Ombre et lumières” qui était…

Shurik’n : Harassante !

Akhenaton : Et énorme.

Imhotep : à l’époque on voyageait dans des J9.

Khéops : Les conditions n’étaient pas les mêmes.

Shurik’n : C’était une grosse tournée en plus.

Akhenaton : Et puis c’était un retour aux racines, c’était un album très personnel. Mais malgré ça, je pense que je le ferais différemment, parce qu’après on a eu des aventures solos qui se sont faites sous la houlette du collectif. Il y a un coté roots aussi dans “Météque et mat”. Ça s’est fait dans des conditions un peu plus roots qu’ “Ombre et lumières”, pour une partie de l’enregistrement.

 

 

EASTWOO

Akhenaton : Avec Cut c’est de l’amitié, pas de la collaboration, c’est vraiment un ami, c’est la famille. On a connu le meilleur ami de Cut, Fabe aussi, ils sont même venus le jour de mon mariage, c’était des gens très proches. Et sur “l’école du micro d’argent”…

Khéops : East c’était le rappeur de Cut. Parce que si il était pas décédé, ils auraient fait un groupe.

Akhenaton : Ils auraient fait un groupe, et ils auraient fait mal, parce que East rappait vraiment, avec du contenu, du flow…

Shurik’n : Ouais !!!

Akhenaton : Je me rappelle, on avait dit à East, tu descends enregistrer à Marseille avec nous. Et il devait enregistrer un samedi, et il a eu un accident dans la semaine qui précédait sa venue sur Marseille. On a été atterré. Et puis après on a parlé à Cut, et à Fabe, et on a dit on maintient le morceau, avec l’accord de son frère, l’accord de sa femme. On a pris un acapella de East, et on a construit le morceau autour de son acapella. ça aurait sûrement été un autre morceau si on avait écrit avec lui.

Khéops : Là, on a fait avec ce qu’on avait.

Akhenaton : Et on est parti de son couplet, et on a construit autour. Et par la suite, on a fait le titre avec Cut. Et pour moi, c’était le minimun !

Conçu pour durer : Tu avais fait un passage radio également avec lui.

Akhenaton : Oui, un freestyle sur Nova. J’avais fait un morceau aussi “Eloge à la mémoire des évaporés” aussi sur “la face B”. Je sais même pas si il est sorti sur la face B… Ou c’est sur une tape à Cut… mais j’avais fait un morceau sur East. C’était vraiment un bon gars. On garde que des bons souvenirs.
Mon fils, mon plus grand fils, quand East est mort il devait avoir un an et demi, aujourd’hui il écoute ses morceaux. Il a été sur internet, il a récupéré ses morceaux, il a 18 ans aujourd’hui. Il m’a dit “C’est monstrueux comment il rappait à l’époque”. Je lui ai dit que c’était un putain de rappeur, et c’était un putain de bonhomme. Le smile, sportif.

 

 

 

 

TEST PRESSING – “L’école du micro d’argent”

Conçu pour durer : Ce sont des morceaux qui ne sont pas sur l’album…

Khéops : Non.

Akhenaton : Si si.

Khéops : Ce sont des acapellas. Il y a le morceau avec une maquette du “Coté Obscur”, avec les samples de la guerre des étoiles.

Akhenaton : “Des sous” aussi.

Khéops : Il est sorti “Des sous”.

Conçu pour durer : Non mais effectivement il y a les maxis avec les acapellas, mais il y a un album qui circule où il y a des morceaux qui ne sont pas sur “L’école du micro d’argent”.

Akhenaton : C’est fort possible.

Conçu pour durer : En fait ce sont des morceaux que vous n’avez pas voulu mettre, pour ne pas faire un double album?

Akhenaton : C’est très compliqué “l’école du micro d’argent” car c’est une spirale… attends, il va tirer ça au clair, car Khéops est en train de se demander “ On a fait des vinyls dans mon dos?” (Rires).
La spirale de “l’école du micro d’argent” c’est que même la version US qui est finie, complète, terminée, n’est jamais sortie. Après, c’est ce qu’on dit souvent, parfois on fait des choses mais elles ne sortent pas et malheureusement il faut que les gens comprennent que les enregistrements ne nous appartiennent pas quand on est dans une major. On est produit, ils appartiennent à la personne qui a payé les enregistrements. Effectivement, sur “l’école du micro d’argent” il y a des tas de morceaux, qui sont mis de côté, y compris une génération de maquettes qu’on a définitivement perdue avec le chemin. Alors il est survécu “Paul n’a que des pierres dans ses poches”. Mais il y a sept ou huit morceaux qu’on a complètement perdus. Il y a avait qu’un DAT.

Shurik’n : Pour sélectionner les meilleurs, on est arrivé à les caser en bonus, on trouvait toujours un moyen soit un bonus sur un maxi, soit un morceau caché, pour qu’il sorte quand même, qu’il ait une vie, quand on a estimé que le morceau était suffisamment bon.

Imhotep : Un que j’aurais aimé retrouver c’est “I comme Icare”.

Khéops : Avec le sample de Marley.

Shurik’n : Ohhhh, “I comme Icare”.

Akhenaton : Ouais, mais ces morceaux là sont perdus, ils sont sur le même DAT. Ce DAT, je l’ai avec son écriture, mais j’ai que les instrus. J’ai les instrus déjà, mais j’ai aucune version vocale. J’ai fouillé, j’ai tout retourné. Et quand tu demandes au label, tu sais que EMI ne stocke plus les bandes dans leur locaux, mais stocke les bandes en région Parisienne, donc à chaque fois qu’il faut écouter un DAT, c’est “2001 l’odyssée de l’espace”. Et c’est pour ça que sont partis au pilon beaucoup de vinyles précieux d’IAM. Des pressages américains et des pressages Anglais sont partis au pilon car il n’avait plus envie de payer pour stocker.

Shurik’n : Car il ne pouvait plus stocker une réserve.

Akhenaton : Donc la grosse réserve des vinyles d’IAM a été détruite.

Imothep : Et les matrices également.

Khéops : Et les solos!

 

 

Interview réalisée le 22 Novembre 2013 – Le Bikini (Toulouse).
Remerciements : Le Bikini, Bleu Citron, Guillaume.