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Built To Last : Cette année marque le vingtième anniversaire de la sortie d’Original MC’s, considéré comme un classique mais largement méconnu des fans de rap en 2016. Quel regard portes-tu sur cet album ? Est-ce pour toi la fondation de ta carrière, ou juste une étape qui t’as mené vers ce que tu es aujourd’hui ?

Kery James : Tu es la deuxième personne qui me parle de ça, je n’avais pas fait attention que c’était les vingt ans. OGB me disait  : «  Pourquoi ne pas faire un concert de cet album  ?  », c’est un truc à réfléchir. Je pense que cet album, c’est le début de notre professionnalisation dans la musique. C’est un album important, c’est l’antichambre de l’album  Le Combat continue.

 

 

BTL : Depuis la sortie du Combat continue, on sent que tu as endossé un rôle de porte-parole, à la fois au sein de la Mafia K’1 fry et dans le spectre plus large du rap en général. Etait-ce une position voulue, ou plus un état de fait ?

K.J : Non, ce n’est pas une position voulue, c’est une position nécessaire, une position malgré moi. J’ai fait des choix qui m’ont mis dans cette position mais si je pouvais faire autrement, je ferais autrement car c’est une position qui est difficile à assumer. Ça serait plus facile de se cacher derrière les autres.

 

BTL : Dans Musique nègre, on dirait que tu as rassemblé tout le rap français, comme pour montrer aux gens de l’extérieur qui sont vraiment les gens du rap. A quel moment as-tu senti que tu pouvais avoir un auditoire plus large que les quartiers de France ?

K.J : Je pense que mon auditoire s’est élargi avec mon album Si c’était à refaire. C’est vraiment là que j’ai touché des gens différents. Mais en même temps, Le Combat continue était un album qui parlait aux gens des quartiers et plus aussi, car le morceau Hardcore était assez fédérateur et beaucoup de gens s’y sont reconnus.

 

 

BTL : On sent que ton discours s’est politisé au fil du temps, du simple constat comme sur le premier Idéal J, à la prise de position dans Racailles. Est-ce parce que plus personne ne parle de ces issues ou c’est une volonté de t’adresser au plus grand nombre ?

K.J : Non, car le discours politique envers ceux que je prétends défendre et représenter s’est durci. La parole raciste s’est complétement décomplexée. C’est naturellement que mon discours s’est politisé et durci, bien qu’il reste cohérent. Je ne prends plus de gants et je fais preuve d’un peu d’insolence mais je suis un miroir de ce que me renvoient les politiques.

 

BTL : On sait que, justement, ces prises de position, et le fait de privilégier la spiritualité, t’ont fermé quelques portes en majors et ont fait qu’on t’a mis des bâtons dans les roues au fil de ta carrière. Tu es passé des circuits indés aux majors, puis de nouveau à l’indé, alors Show Business est-il toujours d’actualité en 2016 ? Ou juste A l’ombre du show business?

K.J : Show Business a toujours été d’actualité. Je l’avais écrit dans un texte  : «  Même en major, je suis en indé  ». J’ai toujours écrit et dit ce que je voulais. J’ai fait ce que je voulais. Il y a personne qui me signait en disant  :  «  Je vais le manipuler ou je vais le faire chanter ce qu’il ne croit pas ou ce qu’il ne pense pas.  » Mais c’est vrai que là, je suis revenu en indé, et je ne sais même plus comment on en est arrivé là… Je me souviens même plus m’être dit  : «  On va le faire en indé.  » Ce n’est pas un truc revendicatif, ça s’est fait de manière naturelle et il n’y a pas de regrets.

 

BTL : L’ouragan Matthew vient de frapper Haïti, on sait que tu y as passé une partie de ton enfance. Es-tu engagé auprès d’actions locales là-bas ? Qu’en est-il de ton association Espoir pour Haïti ?

K.J : En fait, mon père et ma mère sont haïtiens. Ma mère était enceinte de moi, elle a voyagé en Guadeloupe et je suis né là-bas, où j’ai passé les dix premières années de ma vie. Donc, Haïti, je n’y suis allé qu’une fois quand j’étais petit. Le collectif Espoir pour Haïti, ce n’était pas une association mais un collectif que j’ai fondé pour faire une chanson dont tous les bénéfices ont été reversés pour Haïti après qu’il a été touché par le tremblement de terre. J’espère y aller cette année, car ça fait très longtemps que je n’y suis pas retourné.

 

BTL : Tu es probablement le rappeur qui a eu le plus de longévité dans le jeu. De Danse avec moi, La vie est brutale en passant par MC Solaar, à maintenant, te considères-tu comme un ancien ou, depuis ton renouvellement total en tant qu’artiste solo, comme un artiste «  récent », du moins aux yeux du grand public ? On sent une grande vague de nostalgie sur le rap 90’s mais tu y échappes. Est-ce dû au fait que tu es encore actif, ou te sens-tu comme faisant partie intégrante de la génération «  Night & Day  » ?

K.J : Je me considère comme un ancien, mais un ancien qui a su se renouveler. J’ai conscience en tout cas que ce n’est pas donné à tout le monde. Si on regarde sur vingt-cinq ans le nombre de groupes qui sont apparus et qui ont disparu, et dont on entend plus parler du tout… Je suis conscient que d’avoir toujours un public fidèle, c’est pas donné à tout le monde. Je remercie énormément mon public.

 

 

BTL : A ce propos, Rim-K a récemment collaboré avec Rich Homie Quann  : le rap français tourne à la trap… Mais tes sorties récentes montrent que ton style est à cheval entre les trucs anciens et les sonorités nouvelles , à l’image de 94 c’est le Barça où les beats modernes côtoient le sample de Show Business. Ou penses-tu te situer ?

K.J : Mon combat, c’est les gens. J’ai des idées à faire passer. Si je dois les faire passer par la trap, ça ne me pose pas de problème. Dans l’album Dernier MC, il y avait déjà un morceau qui s’appelait 9 Trap Music, l’album est sorti il y a 3 ans… Donc je n’ai pas de problèmes avec ça. Plus je m’essaie à la trap, et plus je trouve qu’il y a une technicité. Je sais qu’il y a beaucoup d’anciens qui pensent que c’est hyper facile tout ça… mais non. Tout le monde peut faire de la trap, c’est sûr, mais tout le monde ne peut pas faire de la trap qui soit écoutable. Donc j’essaie de mettre un peu de fond dans tout ça.

 

BTL : A l’Age d’or de la Mafia K’1fry, vous étiez extrêmement prolifiques. Suite à la disparition de Mehdi, il a été dit que beaucoup de unreleased étaient encore archivés, y a-t-il un projet prévu afin que ces archives sortent un jour ?

K.J : Pour l’instant non. Je sais que les producteurs de Original MC’s sur une mission justement, Souhil et Karim, qui étaient très proches de Medhi et qui sont devenus très proches de moi, doivent avoir cinq ou six titres d’Ideal J qui ne sont jamais sortis. Il faudrait qu’on y pense un jour. Peut-être en 2018, si je suis encore vivant, faire un truc autour du Combat continue.

 

 

BTL : Tu as toujours été un artiste qui n’a pas hésité à collaborer avec d’autres équipes, d’Expression Direkt, à ce qu’on peut voir actuellement. Y’a-t-il des rappeurs/artistes/producteurs avec lesquels tu aimerais bosser et avec qui tu n’en as pas eu encore l’occasion?

K.J : Il y en a certainement mais je n’en ai pas en tête. Il y a plein de mecs qui sont forts. Quand tu me dis ça, je pense à des mecs comme Ol Kainry. Je n’ai jamais fait de morceau avec lui, par exemple. Je trouve que c’est un rappeur très très fort. Il y a beaucoup de gens qui passent à côté, mais c’est un des plus grands kickeurs.

 

BTL : Ton top 5 Mafia K’1fry et ton top 5 rap français en général  ?

K.J : Pour Mafia k’1 Fry : Hardcore (Ideal J), Génération sacrifiée (Rohff), T’es pas assisté (Karlito), Je ne dors plus (Intouchable), Si je rappe ici (Ideal J).

Esclave de votre société (Assassin), L’Aimant (Akhenaton)

 

BTL : Et si c’était à refaire, qu’est-ce que tu referais, ou pas ?

K.J : C’est difficile en réalité. J’ai appelé l’album comme ça, mais c’est difficile de répondre à cette question, car même les erreurs qu’on a faites ont contribué à ce que l’on est aujourd’hui. Donc je regrette les erreurs que j’ai pu commettre, mais elles ont été nécessaires pour que je puisse apprendre.

 

Interview réalisé le 05 Octobre 2016 au Bikini (Toulouse).
Remerciements : Trinidad, Thomas, Estelle.