Conçu pour durer : Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Le Téléphone Arabe : Le Téléphone Arabe, MC. J’ai d’abord fait des trucs sur plusieurs mixtapes, après j’ai fait pas mal de trucs avec La Rumeur, des scènes, des mixtapes … et après j’ai commencé à faire des projets tout seul : Mélodie Criminelle, Renégat, The Project… Et là, on travaille sur un nouveau truc qui va arriver en septembre 2013.

Conçu pour durer : D’où t’es venu le nom « Le Téléphone Arabe » ?

Le Téléphone Arabe : C’est Ekoué qui l’a trouvé et je trouvais que ça collait bien à mon état d’esprit.

Conçu pour durer : Quand est-ce que tu as commencé à rapper?

Le Téléphone Arabe : J’étais en 3ème, ça fait un peu plus d’une vingtaine d’années. J’ai commencé à écrire mes textes comme ça, pour rigoler … Et c’est devenu plus sérieux au début des années 90 où j’ai commencé à davantage comprendre le côté technique. Et là, j’ai vraiment commencé à faire des techniques, des placements, ça commençait à être plus sérieux. Mais je n’ai jamais voulu en faire un projet, depuis quelques années seulement je me suis dit que j’allais sortir quelques trucs …

Conçu pour durer : Quand tu parles de placements, de techniques, tu as eu des influences de groupes en particulier?

Le Téléphone Arabe : Oui bien sûr, des trucs cainris. Jusqu’en 93/94, j’étais à fond dans le rap céfran et dans le rap cainri mais à partir de 96 j’ai laissé tomber le rap céfran et j’écoutais plus que du cainri. C’est ça mes influences, c’est cainri. Après des noms, c’est tous les grands MC ! Il y a le Wu, c’est vraiment des mecs qui m’ont marqué, Jeru, Guru, Gza beaucoup, Prodigy énormément… mais il y en a beaucoup trop, je pourrais te citer Treach de Naughty by Nature, c’est des mecs qui m’ont influencé. Même aujourd’hui, en 2013, je les réécoute et j’apprends encore des trucs.

Conçu pour durer : Et en français tu as eu des influences particulières?

Le Téléphone Arabe : Ouais. Ministère AMER, c’est les plus grands pour moi. C’est la référence, c’est des mecs qui m’ont retourné le cerveau. Fond et forme, la direction à prendre. Pareil, je trouvais qu’il y avait Public Enemy en version cainri, eux c’était vraiment le concept parfait, la performance à chaque morceau. Ministère AMER c’était la rue, des mecs africains, il y a tout. En même temps, il y a des morceaux pour chiller, pour insulter, pour se tirer dessus, pour danser, des morceaux narratifs, c’est complet de A à Z. Je les écoute encore!

Conçu pour durer : Comment s’est présentée ta première apparition mixtape : Sang d’encre?

Le Téléphone Arabe : On était avec Ekoué, JP (Manova ndlr) et le Bavar, on était en train de traîner… je m’en rappelle bien, il pleuvait, c’était sur Paname, la nuit. Et eux, ils devaient poser un truc en studio vite fait en passant, et on traînait ensemble, et quand on y est allé, ils m’ont dit « T’as qu’à poser un truc » et je leur ai dit « Ouais, mais j’ai écrit un truc qui n’a aucun rapport ». Ils m’ont dit « Crache-le, on s’en bat les couilles ! », voilà tout simplement. On a posé le truc, c’est tout. Ça s’est fait comme ça, c’était pas réfléchi. Bizarrement c’est une putain de mixtape, il y a plein de références dessus.

Conçu pour durer : En parlant de références, tu fais souvent des clins d’oeil sur tes morceaux : East, Polo, Ministère AMER… c’est un truc que t’affectionnes?

Le Téléphone Arabe : Tout ce que je fais, je le fais un peu comme du cainri. C’est-à-dire… je vois que les cainris reprennent souvent des phases de vieux rappeurs, comme s’ils rendaient hommage, comme si c’était un héritage, et bien moi j’essaie de refaire ce même truc là, je le fais sans réfléchir. Je trouve que malheureusement, c’est des mecs qu’on oublie un peu trop, alors que c’est eux qui nous ont retourné le cerveau, mais c’est pas ceux qu’on entend maintenant donc c’est la moindre des choses. Et puis c’est des phases qui tuent en elles-mêmes, la preuve : tout le monde percute à chaque fois, ça te laisse pas indifférent, ça te renvoie à plein d’images quand tu es en train d’écouter. C’est des vrais MC.

Conçu pour durer : Malgré toute la diversité qu’il existe dans le rap, tu penses pas que le rap est moins contestataire à l’heure actuelle?

Le Téléphone Arabe : Bien sûr qu’il est moins contestataire, c’est évident. Après, il y a tout un tas de raisons de pourquoi il est comme ça. Tu veux savoir quoi?

Conçu pour durer : Par rapport à ton positionnement, où on peut retrouver dans ton rap du fond, de la forme…

Le Téléphone Arabe : Parce que moi, je ne suis pas comme tous ces amnésiques, je sais d’où je viens, pourquoi je suis là… Eux, tous ces gens, c’est des lobotomisés … aussi bien ceux qui font ce rap, que ceux qui l’écoutent, c’est aussi simple que ça. C’est une matrice, sois tu es dans cette matrice, sois tu l’es pas. C’est pas pour rien si je fais pas de featurings, c’est pas pour rien si on parle pas de moi… je suis pas dans cette matrice, je rentre pas dedans. Je veux pas y rentrer, on veut pas me faire rentrer, tout va bien, chacun dans son monde ! Je trouve que c’est une logique : soit tu es dans un circuit bien rodé, et tu vas te retrouver à écouter cette musique, à avoir un style de vie qui va avec, à t’empoisonner aussi bien le corps que l’esprit, soit tu vas essayer d’être dans une autre logique ou tu essaies de t’élever, de vivre autrement aussi bien mentalement que physiquement, et tu seras dans une autre matrice avec sa culture, sa musique, sa façon de bouffer, de vivre, de dormir, de penser. C’est des matrices.

Conçu pour durer : Ton premier maxi « Ma mélodie criminelle », c’était un 4 titres. Quelle était ta démarche?

Le Téléphone Arabe : J’aime pas rapper et enregistrer pour rien. Je rappe parce que j’ai un objectif au bout. Sur ce cd, il y a une unité musicale, un type de texte, tout était pensé. Comme chaque morceau que je fais.

Conçu pour durer : Tu l’as distribué de la main à la main?

Le Téléphone Arabe : C’était sur la tournée de La Rumeur, il y avait un stand sur lequel ils vendaient des T-shirts, des produits à eux, et ils m’ont proposé de le vendre à côté. J’avais pas de distribution, donc ils ont fait ça pour moi, c’est sympa de leur part.

Conçu pour durer : Au niveau des productions, c’était ton premier projet, donc plus de faces B, comment tu as choisi ?

Le Téléphone Arabe : En fait, c’est un pote à moi qui s’appelle Makan qui fait des clips maintenant et qui faisait du son et des clips déjà à l’époque et qui avait une putain d’oreille. Il a toujours fait du son pour plein de mecs et quand on s’est connectés, on s’est bien entendus direct. On se connaissait déjà avant, on était potes, il habite dans le même quartier que moi et direct ça s’est fait. C’est un mec super réceptif, super intelligent, qui percute sur ce que tu lui dis. Un mec vachement à l’écoute, c’est rare. C’est des mecs avec qui tu peux bosser.

Conçu pour durer : Tu partais sur une certaine idée, sur un univers et lui, il s’accordait ?

Le Téléphone Arabe : Voilà, sans problème. Je lui disais, il faisait ça sur commande et il aimait les mêmes influences que moi donc ça aide tout de suite la symbiose.

Conçu pour durer : Peux-tu nous présenter les producteurs avec lesquels tu travailles?

Le Téléphone Arabe : Shaheed et MUS, c’est deux intégristes du son eux aussi. Tous les deux très talentueux. Shaheed, je l’ai connu sur le net y a quelques années, il a une approche plus hip-hop, plus street du son en général. C est d’ailleurs lui qui a fait les sons de « Renégat ». MUS, je le connaissais d’avant, et il est capable de te faire du son qui n’a rien a voir avec du hip-hop. Mon premier son avec lui c’est « Clic Clic ».

Conçu pour durer : Tu n’as pas d’invités sur tes morceaux, on te voit rarement en featuring, tu as fait quelques mixtapes… c’est un choix?

Le Téléphone Arabe : Ouais, c’est un choix. Au début, ça l’était pas. Tout au début quand j’ai commencé, le but c’était d’être présent pour qu’on t’entende. Après tu vois que les gens percutent pas ou qu’ils sont dans leur délire, et donc plus tu fais du rap et plus tu vois que tu n’es pas dans le même courant que les autres. Comme d’habitude, les handicaps ça devient des atouts que tu cultives et ça te forge une identité propre. Donc maintenant, c’est presque une identité d’être seul. Mais je suis comme ça même dans la vie. J’ai un cercle, c’est des vrais gars, c’est pareil dans la vie. C’est toujours cette histoire de matrice. Si je voulais faire des featurings, je voudrais en faire avec des mecs qui assurent, qui sont des vrais techniciens et il y en a très très très peu en France je trouve. Des mecs, vraiment je les écoute, je me prends la tête et je me dis « Ouah, c’est quoi ce truc? », j’en connais pas trop.

Conçu pour durer : Là, à l’heure actuelle, tu n’as pas envie de featurings ou de collaboration particulière?

Le Téléphone Arabe : Non. Au contraire, je suis encore plus déterminé à en faire encore moins avec les gens. Jamais de la vie, c’est pire qu’avant. Surtout pas, tout sauf ça.

Conçu pour durer : Ce serait plus une contrainte qu’autre chose.

Le Téléphone Arabe : Exactement, ce serait une contrainte. Moi, je paie le studio, le mec que j’inviterais, je veux que quand il arrive, il crache ça en un ou deux shots. Les mecs, ils le feront pas, je le sais. Ça va me faire perdre de l’argent, du temps, et j’ai pas que ça à foutre. Il y a ça, leur expliquer… non, ça ne m’intéresse même pas. Il y a des mecs que je connais qui rappent, qui sont dans des bons délires, qui sont inconnus, eux ils sont là, ils font leurs trucs dans leur coin, mais ils sont inconnus. Peut-être avec eux à la limite, mais c’est des potes, c’est des mecs avec qui je traîne, c’est des vrais MC, c’est des mecs comme moi, des intégristes. Maintenant, ça fait partie de mon identité. A la limite, le seul mec pour qui j’ai du respect car je trouve que c’est un MC technique, même si il y a plein d’abrutis qui captent pas que c’est un des MC le plus technique en France, le plus avancé dans son pera, c’est Ekoué. Les gens n’ont toujours pas compris, mais bon bref … ça c’est autre débat. Le reste, je m’en bats les couilles.

Conçu pour durer : Ton premier maxi avait un support CD. Ton premier album « Renégat » n’avait pas de support physique, c’était un choix par rapport à l’industrie du disque qui a évolué?

Le Téléphone Arabe : Ouais et puis quand c’est le premier truc que tu fais, tu es un peu naïf et tu veux faire les choses bien. Après tu te rends vite compte que ce qui compte, c’est faire du son. Tu voulais faire les choses bien, tu fais une cover, mais en fait c’est plein de problèmes de se lancer là-dedans. C’est énormément de problèmes de faire un cd. Contrainte physique : le mec qui te grave tes cds, ils sortent pas comme il faut, c’est pas imprimé comme il faut, tu as des retards à cause de ça … enfin bref. Donc maintenant je fais tout. Là c’est simple, j’arrive, je pose, mon morceau je l’ai en mp3, je le mets sur le net, ça va plus vite. Et ça a autant voire plus d’impact que si tu le sortais en cd.

Conçu pour durer : Il faut que ce soit spontané…

Le Téléphone Arabe : Ouais et puis même, maintenant il y a aussi une époque qui fait que déjà, il y a la copie … les gens consomment le rap comme si c’était un produit. Ce qui compte c’est l’immédiateté de l’offre. Je trouve que cette démarche est en accord avec son temps.

Conçu pour durer : Les morceaux de ton album, ce sont des titres que tu as écris dans les mois précédant l’enregistrement, ou ce sont des morceaux que tu avais accumulé avec le temps ?

Le Téléphone Arabe : Non, c’est des trucs que j’ai écrit juste un peu avant. Après, il m’arrive toujours de reprendre des rimes à l’ancienne. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que quand ça sort ça fait un moment que je l’ai enregistré. « Fesses B », j’ai écrit ça l’année dernière, il y a plus d’un an.

Conçu pour durer : Du coup, la contrainte s’il y avait une sortie physique cd ou vinyl, serait plus importante.

Le Téléphone Arabe : Voilà, exactement. Après ton son il n’est même plus dans les temps, ton son il fait un peu démodé.

Conçu pour durer : Et toi, tu es passé à autre chose…

Le Téléphone Arabe : Ouais, j’ai évolué. D’ailleurs tu verras, les prochains trucs qui vont sortir, le flow n’a plus rien à voir. Ça évolue en permanence.

Conçu pour durer : Quand l’album « Renégat » est sorti, il y avait indiqué « Premier album et dernier album ». Pourquoi?

Le Téléphone Arabe : Parce que je ne ferai qu’un album et c’était celui-là. C’est relou de faire un album. En fait je l’ai compris en faisant cet album. Les mecs qui font des albums, c’est qu’ils ont signé un deal. Donc quand tu signes un deal, on te dit tu vas faire tant d’albums en tant de temps, voilà. Mais moi comme je signe avec personne, je fais ce que je veux quand je veux. L’album concrètement auprès d’une maison de disques, c’est ce qui ramène le plus d’argent au niveau quantité/prix, donc il faut que le client en ait pour son argent. Moi j’ai pas de deal, je fais ce que je veux, je marche à l’inspiration et au coup de coeur. Donc je ne fais pas d’album, c’est simple.



Conçu pour durer : Tu as enchainé par la suite avec « The Project » où tu mettais en ligne un morceau par mois, avec une thématique à chaque fois, une pochette avec une paire de chaussures différentes.

Le Téléphone Arabe : Déjà « The Project », il fallait connaître le sens du nom de « The Project ». Ça veut dire les cités, mais la deuxième définition, c’est l’expérimentation et chaque morceau n’a strictement rien à voir avec un autre. Donc chaque morceau partait dans une direction, on a expérimenté des choses. Et donc en expérimentant, je trouvais que ça allait bien de sortir des morceaux qui n’avaient rien à voir, mais si j’avais sorti ça sous un cd, ça partait un peu dans tous les sens et on n’aurait pas compris où je voulais en venir. Tandis qu’en le diffusant mois après mois, on comprenait très bien la logique : il s’agissait vraiment de morceaux qui n’avaient strictement rien à voir, et que le but c’était de goûter à un truc différent chaque mois, c’était presque un truc ludique.

Conçu pour durer : C’était pas forcément une identité que tu voulais présenter, mais plusieurs facettes, plusieurs styles de sons…

Le Téléphone Arabe : Plusieurs flows, plusieurs types de lyrics. Il fallait montrer que tu étais un MC avec des skills, etc… C’est ce que j’ai fait.

Conçu pour durer : Tu as ensuite sorti « Fesses B » qui est sorti il y a peu. C’était quoi le but du projet?

Le Téléphone Arabe : C’était plus pour montrer que je prenais des faces américaines et que je pouvais les froisser autant, et j’ai même trouvé que j’avais froissé plus que des cainris. Par exemple, « Death wish » de The Alchemist et Jadakiss, je trouve que je posais mieux. Je connaissais pas, j’avais pas écouté, après j’ai écouté, et j’étais plutôt fier de ma prestation. C’était pour montrer, moi-même … un cainri, je te le fume. Avec la langue française, pourtant il n’y a pas tout ce côté… Tu vois, en langue anglaise, il faut appuyer sur certaines syllabes, donc ça donne une rythmique c’est plus facile. C’est plus aisé de créer une musicalité avec la langue anglaise. Moi je te fais ça avec la langue française et je te les froisse, tous.

Conçu pour durer : L’intonation n’est pas la même, on a souvent reproché au rap français de ne pas avoir ce swing…

Le Téléphone Arabe : C’est pas une histoire d’intonation en fait. On peut en parler si tu veux, j’ai une maîtrise d’anglais. Tu as les mots, et chaque mot est composé d’une ou deux syllabes sur lesquelles il faut appuyer un certain moment tu vois. Et ça, forcément si tu appuies dessus, ça te fait un kickage. Et forcément, ça te donne comme une rythmique implicitement et en français on l’a pas. On a une langue qui est tout à fait linéaire, je parle pas au niveau des intonations. C’est pour ça qu’il y a pleins de soi-disants MC en France qui s’amusent à arriver avec des flows chewing-gum, qui sont là en train d’étaler les syllabes à outrance, parce qu’en fait ils ont des carences en flow, ils arrivent pas à donner de l’allure aux mots, donc ils sont en train d’imiter les américains pour donner de la contenance à leur flow. Ils arrivent pas à assumer la langue française et à rapper avec en lui donnant de l’allure. Ça, ça demande du taf et des années de pratique pour savoir comment poser les syllabes françaises sur un beat. Je te l’ai fait, Fesses B. Et bizarrement il y a pas mal de gens qui l’ont écouté et qui ont pas compris tout le taf qu’il y avait derrière et bizarrement qui écoutent et réécoutent et trouvent que ça s’écoute trop facilement. Mais justement, le but c’était ça, de faire croire que ça s’écoute facilement mais c’est parce qu’il y a un travail. C’est parce que moi je suis venu et je t’ai mâché le travail pour que toi tu l’écoutes facilement. Derrière, il y a tout un travail de syllabes que les gens ne suspectent même pas, c’est des années de travail.

Conçu pour durer : S’ils entendent bien à la première fois, pour eux c’est simple. Ils vont davantage s’attarder sur des flows « tape à l’oeil » on va dire, qui vont interpeller sur le moment, mais si tu écoutes bien…

Le Téléphone Arabe : Exactement. C’est bien vrai, c’est un pote qui disait ça, en France ils s’attardent sur les flows les plus laborieux, les flows où on entend qu’il est en train de morfler derrière, on a l’impression qu’il a la chiasse. Il est en train de rapper, il se prend la tête, il est en sueur. Alors que quand tu arrives et que tu as un flow soi-disant simple comme moi : non, il n’est pas simple. Un mec comme Lil Wayne, on dirait une espèce d’abruti, un soulard, mais c’est travaillé à la race. Le mec, il est en train de rapper, de faire un genre de blues pendant qu’il est en train de rapper. Et ça, il y a pas de culture en France donc les mecs captent pas ça. C’est tragique et ça va en empirant, et ça va aller en empirant. C’est en train de se diriger vers de la consommation pure et dure. C’est super important et les gens ne se rendent pas compte à quel point c’est important dans le son. Parce que c’est toute une identité, tout un héritage qui se barre, et ils captent pas. Tu as des mecs qui vont te faire un jugement sur mon flow, et tu leur dis « Tu as écouté Illmatic ? », et ils n’ont jamais écouté Illmatic ! Barre-toi de là ! Tu vois ce que je veux dire?

Conçu pour durer : Ils n’ont pas forcément de références …

Le Téléphone Arabe : Non mais c’est à dire qu’il y a des fondamentaux. Tu as des mecs parfois qui vont venir et qui vont m’expliquer le flow, et les mecs c’est pas des rappeurs. C’est comme si moi, par exemple tu es mécanicien, moi je suis un client, je te ramène ma voiture et je suis en train de t’expliquer ce qu’il y a sous le capot, mais j’ai jamais vu ce qu’il y a sous le capot. Et moi, je vais te donner des leçons à toi qui a les mains sales. Ça n’a strictement aucun sens. Tu as beau leur expliquer, c’était il y a des années, je leur explique plus…

Conçu pour durer : De façon générale, beaucoup de gens parlent, donnent leurs avis sur tout et n’importe quoi sans avoir le recul et la connaissance.

Le Téléphone Arabe : Je suis tout à fait d’accord avec ce que tu viens de dire, mais c’est qu’il y a un problème maintenant. Eux maintenant, contrairement à toi quand tu avais 18 ans, eux maintenant c’est la majorité, et toi tu es la minorité. Contrairement à ton époque où tu as commencé, tout le monde pouvait ouvrir sa gueule, parce que on s’y connaissait pas tous, mais on partait de la même base. Toi maintenant tu as un héritage, sauf que maintenant c’est toi le fou. Et c’est là où est le souci. Là c’est différent, les données ont changé. Maintenant, tu as des mecs qui écoutent du rap depuis les années 2000, et ils sont là, ils font des articles « moi je connais » …

Conçu pour durer : Et il y en a de plus en plus!

Le Téléphone Arabe : De toute façon, tout ce qui sort maintenant pour moi c’est pas du rap, c’est de la variét’. Mais vraiment, c’est pas parce qu’il y a un beat 4 temps, qu’il fait des rimes, que c’est un négro et qu’il a une casquette, que pour moi c’est un rappeur. C’est pas du rap, il y a une forme rap mais c’est pas du rap. C’est comme quand tu vas aux Etats-Unis et tu bouffes des pommes. Ouais c’est des pommes, mais on sait tous que c’est pas des vrais pommes. C’est pareil pour le peura. On a créé une demande, pareil que pour les pommes, ça coûte moins cher que de mettre des produits dessus, et bien là c’est pareil. On a créé une demande, une offre et on te donne ce que tu veux. C’est aussi simple que ça.

Conçu pour durer : Tes projets à venir?

Le Téléphone Arabe : Il y a un truc qui sort en septembre, si tout va bien. Mais normalement je respecte mes délais, je sors même des trucs en avance. Un putain de truc qui arrive, c’est encore un autre level ! De toute façon, c’est ça le but, faire encore mieux à chaque fois. Ça devrait être un 5 titres et après ce truc-là, il va y avoir d’autres projets de ouf, ça va partir dans un autre délire. Mais déjà le truc qui sort en septembre, ça part dans un autre délire.

Conçu pour durer : Tu gardes la même équipe pour la production?

Le Téléphone Arabe : Toujours les mêmes cinglés, Sha Heed et MUS. Et normalement avant le truc de septembre, je vais balancer un des morceaux du 5 titres pour que les gens captent un peu. Je sais que les gens ont toujours du mal à digérer, je les prépare. Après, on sait pas sous quelle forme ça va sortir, mais ça va être gratuit.

Conçu pour durer : Tu préfères garder ce format-là et le faire gratuit plutôt que de chercher une distribution?

Le Téléphone Arabe : Je suis pas contre le fait d’être signé mais le problème c’est que quand tu signes, tu es un putain d’esclave, c’est ça la réalité. Tu es un employé, avec des deadlines, des objectifs …

Conçu pour durer : Beaucoup de choses à respecter…

Le Téléphone Arabe : Tu as des gars qui n’y connaissent rien au pera et qui te disent tu dois faire ça, tu dois rapper comme ceci … c’est pas faisable. Enfin moi je peux pas.

 

Top 5 albums Français et Top 10 albums US (sans ordre de préférence)

MINISTERE A.M.E.R – 95200
SUPREME NTM – 1993 J’appuie sur la gachette
LA CLIQUA – Conçu pour durer
ASSASSIN – Le futur que nous réserve t’il?
AKHENATON – Métèque et mat

NAS – Illmatic
PRODIGY – HNIC
METHOD MAN – Tical
DR DRE – The chronic
SNOOP DOGG – Doggystyle
PUBLIC ENEMY – Fear of a black planet
JERU THE DAMAJA – The sun rises in the east / Wrath of the math
MOBB DEEP – The infamous
BIG L – Lifestyle of poor n dangerous
WU TANG CLAN – Enter the Wu Tang (36 chambers)
GANGSTARR – Moment of truth

 

Interview réalisée le 27 Avril 2013 à Paris.
Remerciements : Le Téléphone Arabe, Shaheed, Laura.

 

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Mix spécial L.T.A en téléchargement libre :